Je me souviens du Tweet d’un premier ministre qui promettait l’accueil du Canada à celles et ceux qui fuient la persécution, la terreur, et la guerre. Je me souviens d’un maire de Montréal qui auto-déclarait sa ville, Ville sanctuaire. Je me souviens des organismes débordés par les promesses de dons pour les réfugié·es syrien·es. Je me souviens, plus récemment, au sortir de la pandémie, de promesses de régularisation de tous les « anges gardiens ». Je me souviens de groupes communautaires en immigration qui pressaient le gouvernement de planifier l’immigration temporaire, comme il le fait avec l’immigration permanente. Je me souviens de programmes d’immigration open-bar où les universités balançaient leur budget à coup d’étudiant·es internationaux et où le patronat réglait leur déficit de main-d’œuvre à coup de travailleurs temporaires, faisant ainsi l’économie de revoir les conditions de travail.

Je me souviens et puis j’observe. J’observe les discours. Y a-t-il encore un sujet sociétal dont les immigrant·es n’ont pas été accusé·es ?… Le décret de protection du caribou, peut-être. J’observe le jeu de ping-pong incessant provincial/fédéral sur les temporaires et les demandeur·ses d’asile. Jeu de ping-pong où tout le monde perd, surtout les personnes au centre du débat. J’observe les gels, les fermetures : fermeture du chemin Roxham qui permettait à des personnes de demander l’asile de façon sécuritaire, gels de délivrance de visa, de certificat de sélection du Québec (CSQ), gels des budgets permettant une couverture sociale. 

Qui sont-ils/elles ?

Dans le tumulte de ce ping-pong politique et médiatique, on a presque oublié que l’on parlait d’humain·es. Les « temporaires », qui sont-ils ? On oublie qu’il s’agit de femmes, d’hommes et d’enfants venus chercher la protection que leur pays d’origine ne leur accorde pas parce qu’iels sont des femmes, des personnes à l’orientation sexuelle jugée « déviante », des personnes déplacées par des conflits : des personnes qui demandent l’asile.

On oublie qu’il s’agit de travailleurs et travailleuses, d’étudiant·es, qu’on a été cherché·es, qui ont tout quitté pour venir ici. Des personnes aujourd’hui perdues dans un labyrinthe bureaucratique.

On oublie qu’elles sont des personnes avec chacune un parcours de vie qui leur est propre et qui ont en commun d’être précarisées par des décisions, ou tout simplement des retards administratifs.

Des personnes entrées ici avec un statut légal, dans leur immense majorité, qui ont joué les règles du jeu, sans se douter que les règles allaient changer en cours de route, sans préavis ni consultation.

Précarité

Dans ce contexte, les secteurs de l’immigration et de l’itinérance se sont rapprochés, tout d’abord autour de la notion de précarité : personnes à statut d’immigration précaire, personnes vivant dans la précarité. En quoi ces décisions politiques, puis administratives, peuvent mener à une vie dans la précarité ?

Au Québec, comme au Canada, les garanties liées à nos droits économiques, sociaux et culturels sont dépendantes du statut migratoire dont on dispose. Que l’on parle d’accès aux soins de santé, aux logements sociaux, à l’éducation, à l’emploi, tous ces droits sont conditionnés par le statut d’immigration que l’on détient au moment où on détient ces droits. 

Ainsi une personne venue ici pour étudier, pour travailler ou pour réclamer de la protection du Canada peut jouir de plusieurs droits à son arrivée et perdre ses droits si son renouvellement de permis de travail n’est pas arrivé à temps, si elle doit interrompre ses études ou si elle doit changer d’employeur pour des raisons d’abus (avec un permis de travail fermé).

Toutes ces barrières alimentent la précarité des personnes migrantes et les maintiennent à risque d’itinérance.


En 2023-2024, uniquement, les critères entourant l’accès à la résidence permanente ou le renouvellement des permis de travail pour les étudiants internationaux et les travailleurs temporaires ont fait l’objet de nombreux changements, et parfois à quelques semaines d’intervalle. En fonction de leur région d’habitation, de leur salaire, de leur niveau d’étude, du domaine d’études, de la présence ou non d’un·e conjoint·e et du degré de maîtrise du français, plusieurs milliers de personnes ont vu les portes du Québec se claquer brutalement sous leur nez. Ce sont ainsi plusieurs milliers de personnes, à qui on avait vendu le « rêve québécois » qui vivaient, travaillaient et étudiaient au Québec, à qui on montre la porte, sans aucune autre bonne raison que d’aller grappiller quelques voix chez les nationalistes identitaires. 

La naissance d’une alliance

Dans ce contexte, l’année 2022 a fait place à un double constat. Pour les organismes en itinérance, le constat d’une hausse des demandes d’aide de personnes migrantes à statut précaire dans leurs ressources, faute d’alternatives. Pour les organismes en immigration, le constat des difficultés grandissantes à trouver un logement à Montréal, principalement pour les demandeur·ses d’asile. Le tout sur fond de situations et de trajectoires de vie de plus en plus complexes : personnes désaffiliées, problématiques de santé physique et mentale, etc.

Devant ce triste portrait de rareté du logement abordable à Montréal, de manque de places au sein des ressources communautaires ou institutionnelles existantes, les organismes en hébergement pour personnes migrantes ont senti le besoin de s’unir pour former un regroupement qui est le ROHMI. Ce regroupement a comme mission d’aborder et de visibiliser les enjeux de la précarité résidentielle des personnes migrantes et de prévenir l’itinérance de ces personnes. 

L’itinérance des personnes migrantes est un enjeu qui souligne parfaitement l’importance d’un travail concerté des différents secteurs à commencer par le milieu communautaire. Il apparaît important pour le mouvement communautaire en itinérance et celui de l’immigration de faire des ponts et de sortir d’une logique des silos pour la recherche de solutions et pour des revendications communes. Ensemble les deux milieux peuvent renforcer leur influence politique et leur capacité à faire pression pour des changements positifs. Depuis 2022, les organismes en hébergement pour personnes migrantes de Montréal et le RAPSIM collaborent afin d’identifier les forces, les connaissances, les ponts et les besoins des deux milieux. Comment mieux travailler ensemble ? Comment mieux porter la voix de toutes les personnes qui vivent de la précarité ?

Les personnes migrantes font partie de ces nombreux visages de l’itinérance avec des réalités et des besoins spécifiques liés à leur parcours de vie et leur statut. Il est donc important d’adopter une lecture transversale des réalités de ces personnes pour développer des réponses adaptées. Ce travail concerté et coordonné doit s’appliquer également aux milieux institutionnels et aux différents ministères. Le travail actuellement en silo des différents ministères nuit beaucoup à la prise en charge des personnes migrantes et les maintient à risque d’itinérance. 

Avec la naissance du ROHMI, une collaboration entre le milieu de l’itinérance et de l’immigration s’est consolidée pour aborder cette nouvelle problématique. 

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