«Par leur vécu et leur parcours de rétablissement, ces pairs aidants redonnent espoir à des personnes qui vivent des situations similaires, leur servent de modèles, les inspirent et leur apportent du soutien. Ils redonnent également espoir aux intervenants des équipes soignantes en incarnant des exemples positifs de rétablissement et facilitent la communication entre l’équipe soignante et la personne utilisatrice de services. De plus, leur expertise favorise la pleine participation des personnes et l’implantation et le maintien de services axés sur le rétablissement. De nombreux pairs aidants travaillent présentement au sein d’établissements du RSSS et d’organismes communautaires du Québec. Il est prouvé que la présence des pairs aidants contribue à la diminution du taux d’hospitalisation et de l’isolement social, et exerce un effet positif sur la qualité de vie et la confiance en soi des personnes. Aussi, le recours aux pairs aidants favorise la diminution des effets de la stigmatisation et de l’autostigmatisation (…).»
– L’Association québécoise pour la réadaptation psychosociale, Le partenaire, Volume 28— No.1, hiver 2023, La pair-aidance au cœur du rétablissement. Ici, ailleurs et autrement
L’expérience des pairs
Samira est la toute première pair de Spectre de rue. Elle est arrivée au Service de consommation supervisée à son ouverture en 2017. Avant d’être pair, Samira a utilisé les services de l’organisme, notamment ceux du programme TAPAJ, du travail rémunéré le jour même. « J’avais beau ne pas dormir, ne pas manger, j’étais là. J’étais déjà dans la rue, au moins je n’avais pas besoin de vendre des substances pour survivre. Éventuellement, ça m’a permis de retourner sur le marché du travail et c’est là que je suis arrivée à Spectre ». Quand Samira a commencé, elle observait les intervenant·es et posait beaucoup de questions dans le but d’acquérir le plus de connaissances, le plus rapidement possible. « Je voulais toujours améliorer mes interventions et je regardais attentivement mes collègues en intervention. Je ne me faisais pas confiance ». Au début, elle a eu du mal à partager son vécu. Elle en avait honte et comme elle dit : « Je voulais garder cette boite-là fermée. » Elle s’est sentie obligée de le dévoiler à maintes reprises, non seulement aux usager·es, mais aussi à ses collègues de travail. « C’était difficile pour moi », dit-elle. Je ne voulais pas retourner dans ce passé-là. Je ne souhaitais pas réouvrir cette boite-là parce que je n’y étais plus et quand les usagers posaient des questions, je réalisais que je n’avais pas fait la paix avec tout ça. Maintenant que je ne porte plus l’étiquette de pair aidante, je peux dire que je ne l’ai jamais porté fièrement. Je n’en voulais pas ». Avec le temps, Samira a réussi à ouvrir la boite : « Enfin, je peux dire que je suis fière d’avoir été pair aidante. Maintenant que je suis intervenante, je suis à l’aise de partager mes vieilles habitudes “j’allais là, je faisais ça” ». Je me dis : « c’est correct de le faire . Je suis en paix avec moi-même et mon vécu ».
Avec du recul, Samira dit avoir souvent pensé à son rôle de pair et tout le chemin qu’elle a fait depuis ses débuts. Elle se demande si avoir été entourée d’une communauté ne l’aurait pas davantage outillée à parler de son vécu, à se dévoiler. Elle croit qu’une telle communauté aurait pu lui permettre de reconnaitre et de bénéficier davantage des apprentissages qu’elle faisait sur le plancher à Spectre de rue. Selon elle, il est important d’encourager les rencontres entre pairs aidant·es. C’est entre autres dans ces moments que les pairs aidant·es parviendront à consolider leurs acquis et développer davantage leur confiance. Un avis partagé par Jean et Laurence, aussi pairs aidant·es à Spectre de rue.
« Mon rapport avec la pair aidance a changé. Quand je suis arrivé à Spectre, je ne savais pas c’était quoi un pair aidant. Puis j’ai réalisé que c’est moi ça, un pair. » Jean est arrivé à Spectre en 2022 avec l’intention de devenir intervenant, mais n’en vois plus l’utilité. « Je suis un pair et c’est bien parfait. ». Pour lui, le titre d’intervenant ne devrait pas être un but. Qu’est-ce qu’il y a de différent de toute façon ? Il souligne l’importance de la diversité entre les différentes équipes de travail au sein d’un même organisme. « À Spectre, on a le même salaire que les intervenant·es. Nos connaissances et nos acquis sont reconnus ». Jean parle lui aussi de l’importance pour les pairs aidant·es de se retrouver. Côtoyer d’autres pairs lui a permis de comprendre son rôle, de réaliser qu’il a sa place au sein d’une équipe d’intervention. Laurence, pair depuis quelques mois, a d’abord été stagiaire à Spectre de rue dans le cadre de la formation québécoise spécialisée en intervention par les pairs offerte par l’université Laval. « Quand on rencontre des pairs de d’autres milieux, on se comprend, on sait qu’on a des affinités. On est une petite communauté ». Elle témoigne de la difficulté de certains milieux à intégrer adéquatement les pairs : « À l’école on m’a dit que j’aurais de la difficulté à intégrer les milieux de travail. Certains enseignant·es nous avertissaient ». Laurence ne porte pas le titre de pair à Spectre, mais bien d’intervenante. Son titre ne fait pas de différence pour elle, mais arbore fièrement l’étiquette de pair aidante.
Depuis l’arrivée de Samira en 2017, l’équipe de Spectre s’est d’abord éduquée sur la pair aidance puis, a revu son processus d’intégration des pairs. « Mon procédé a été difficile, on n’était pas aussi bien traité. On savait qu’on serait les premiers tassés. On n’a pas toujours été reconnus. Je me suis battue fort pour la reconnaissance parce que je ne trouve pas qu’il y a une grande différence entre notre travail et celui des intervenant·es. Je suis indispensable en tant que pair. On compte sur le plancher et partout dans l’organisme. J’aime ça voir que les nouveaux qui arrivent à Spectre se sentent valorisé et content·es de se dire pair aidant·e ». Samira est bien placée pour témoigner de l’intégration des pairs à Spectre et de son évolution. En effet, elle a connu l’époque des salaires bas et de l’exclusion des pairs de certaines activités d’équipe, une époque révolue, puisque dorénavant, les pairs aidant·es sont inclus dans toutes les sphères et activités de l’organisme, en plus de partager les mêmes avantages que les intervenant·es.
Pour Ashraf, pair à Spectre de rue depuis 2019, la pair aidance, c’est la première étape d’un cheminement plus long, comme une sorte de tremplin. « Je faisais quelques heures au site fixe par semaine au tout début. Je suis ensuite devenu pair en outreach et puis au Service de consommation supervisé. Je suis passé du bien-être social pendant 10 ans, à travailler quelques heures semaine et enfin, à temps plein. Quand j’ai commencé, j’ai aimé ça et je me suis dit : je vais faire plus d’heures. Au début, je ne voyais pas ça comme être pair, je me disais que moi et la personne dans la rue, on s’entraidait ». Avec le temps, Ashraf en est venu à percevoir le pair aidant comme un possible mentor pour les gens dans la rue. « Les gens voient que je vais acheter ma dope. Je fais ma petite affaire, je suis là à l’heure et voilà. Quelqu’un dans la rue peut facilement se dire “moi aussi, je vais faire ça” ». Selon Ashraf, beaucoup de gens désirent être pair aidant·e, il n’y a malheureusement pas assez de postes disponibles dans les organismes et les institutions. « Pour moi, ç’a été ma porte d’entrée ». Ashraf parle de bienveillance, de réduction des méfaits, de community care et de l’importance de susciter l’espoir chez l’autre. « Pour moi, être pair, c’est le fruit d’une intervention qui a fonctionné, en quelque part ».
Pair depuis 2019, Marjolaine rappelle que la pair aidance est à la base même de la réduction des méfaits. Elle est d’avis qu’on demande toujours comment la pratique de la pair aidance et les pairs eux-mêmes sont intégrés et impliqués dans les organismes, mais rarement l’inverse. Selon elle, les pairs étaient les premiers intervenant·es. Pour Marjolaine, il y a une différence dans les interventions, dans le savoir-faire et le savoir-être. Elle pense aussi qu’un·e pair aidant·e garde cette étiquette toute sa vie. Elle est heureuse de l’autonomie dont elle bénéficie dans l’exercice de ses fonctions. « C’est flexible. Ça m’a permis d’évoluer à mon rythme et de travailler sur moi ». Opinion qu’Eva partage. Pair aidant depuis 4 ans, Eva dit : « Ça m’a aidé à développer mon autonomie, à mon rythme. On m’a permis de développer mes compétences, mais on m’a d’abord permis d’explorer et d’identifier quelles sont mes compétences, c’est quoi qui m’intéresse dans mon rôle. Je suis partie de la rue, d’habiter à gauche et à droite à maintenant, j’ai mon appart, mon auto, je travaille à temps plein. Être pair m’a permis d’avoir la stabilité dont j’avais besoin. » Comme Marjolaine, Eva est d’avis que l’ensemble du community care vient du par et pour. « Après, le monde de l’intervention s’est institutionnalisé et les experts de vécu ont été délaissés. Là, ça commence à revenir, tout le monde se demande comment intégrer la pair aidance et il me semble que ce n’est pas sorcier, ça a déjà été fait, nous sommes égaux ». Eva ajoute que la pair aidance est une approche en soi, une approche particulière. « Ça peut être utilisé comme un tremplin, mais c’est une profession à part entière. Moi je trouve qu’on se professionnalise en pratiquant et que ça a quelque chose de beau. Entre moi maintenant et moi quand j’ai commencé, on est à des lieux. Plus ça allait plus je me détachais de mon rôle de pair et ce n’est pas ce que je mettais de l’avant. Je ne m’associais plus à cette étiquette et je me sentais mal de la porter. Ça devient émotif, veut, veut pas, c’est mon histoire ».
Merci aux personnes qui ont contribué à ce texte: Samira Bautista, Jean Desrochers, Ashraf Gueddida,, Laurence Desjardins,, Marjolaine Michel, Eva Hovington
Avec le soutien de Maude Martin, Gabe Morehouse-Anderson, Alexandra Pontbriand
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