Tiohtià:ke (île de Montréal), territoire autochtone non cédé est habité par des personnes issues de différentes origines, qu’elles soient ici depuis des générations, nouvellement arrivées ou installées depuis longtemps. C’est dans cette diversité que s’enracinent les mobilisations des personnes en situation d’itinérance et des organismes communautaires qui les accompagnent, en réponse aux injustices systémiques qui persistent.
Depuis les élections municipales de 2021, le constat est plus préoccupant que jamais: l’itinérance à Montréal s’est aggravée de manière marquée. Le nombre de personnes sans logement connait une hausse significative. L’itinérance touche une diversité de profil: jeunes, familles, femmes, personnes autochtones, personnes migrantes à statut précaire, personnes issues de la diversité sexuelle et de genre.
Le phénomène de l’itinérance devient plus visible qu’avant, notamment à cause de l’augmentation des campements dans l’espace public et le débordement des ressources par manque de places. Cette visibilité est trop souvent suivie de mesures répressives (profilage, judiciarisation, démantèlements), qui aggravent la marginalisation des personnes concernées.
Il y a de moins en moins de tolérance pour les personnes qui habitent l’espace public dans les lieux qu’elles ont l’habitude de fréquenter: dans les stations de métro, dans les centres d’achat, dans les places de stationnement…. L’augmentation des tensions autour de la présence des personnes et des ressources en itinérance, notamment les sites de consommation supervisés, est alimentée par des perceptions négatives, parfois amplifiées par certains discours médiatiques et politiques.
Alors que les besoins explosent, les organismes communautaires qui sont au cœur de la réponse à l’itinérance peinent à répondre à cette demande croissante. Ils opèrent dans un contexte d’épuisement, de sous-financement chronique, et d’inflation des attentes de la part des autorités publiques sans disposer des moyens adéquats pour leur réalisation.
Dans ce contexte et face à ces constats, il est essentiel que les personnes candidates à la mairie et au conseil municipal s’engagent clairement à faire de la lutte contre l’itinérance une priorité transversale, intégrée à l’ensemble des politiques publiques municipales. Cela implique:
Montréal a besoin d’une vision forte et inclusive pour faire face à la crise actuelle. Il ne s’agit pas seulement de gérer l’itinérance: il faut s’engager collectivement à la prévenir, à en réduire les impacts et à en construire la sortie, dans le respect des droits, de la dignité et des aspirations des personnes concernées.
Comme l’ensemble des partenaires engagés dans la lutte à l’itinérance à Montréal, le RAPSIM constate que les trous de services en matière d’hébergement adapté persistent et se sont même creusés ces dernières années. Les besoins sont criants, en particulier pour les femmes, dont les femmes trans, les personnes LGBTQ+, les couples, les jeunes, les personnes qui consomment, les Autochtones et les personnes ayant des enjeux de santé mentale. Plusieurs de ces groupes continuent d’être exclus ou mal desservis par l’offre actuelle qui ne répond ni à leurs réalités ni à leurs besoins de sécurité, d’intimité et de continuité du lien avec les intervenant·es.
Le rapport de l’OCPM en matière d’itinérance et de cohabitation sociale a clairement mis en lumière l’urgence de développer une offre d’hébergement plus diversifiée, plus humaine et plus enracinée dans les territoires.
Il est temps de sortir d’une logique de gestion de crise pour mettre en place des réponses pérennes, dignes, non conditionnelles et réellement adaptées.
– Soutenir le développement d’hébergements communautaires de petite ou moyenne échelle, avec des services inclusifs des différentes réalités, flexibles, ancrés dans les milieux ;
– Étendre l’offre sur l’ensemble du territoire montréalais, afin de réduire les déplacements forcés et maintenir les réseaux de solidarité locale.
L’accès à un hébergement digne, sécurisant et humain ne peut plus être conditionné ni aléatoire. En 2025, il est plus que temps de revoir nos priorités et de reconnaître l’hébergement comme un levier fondamental pour la protection des droits, la santé, la stabilité et la dignité des personnes en situation d’itinérance.
L’accès à un logement stable, réellement abordable et adéquat pour toutes et tous demeure un levier essentiel pour prévenir, réduire et permettre la sortie de l’itinérance. Pourtant, à Montréal, la pénurie de logements sociaux et communautaires, la disparition accélérée des maisons de chambres et l’explosion des loyers sur le marché locatif privé contribuent à une exclusion grandissante des personnes en situation de pauvreté ou d’itinérance.
Il est extrêmement difficile aujourd’hui de se loger sans consacrer au loyer la quasi-totalité de ses revenus lorsqu’on a recours à l’assistance sociale ou qu’on travaille au salaire minimum. Le développement du parc de logement social, seul modèle garantissant des loyers véritablement accessibles aux personnes à très faible revenu de façon pérenne et à l’abri de la spéculation, progresse beaucoup trop lentement. Les organismes communautaires porteurs de projets sont confrontés à des obstacles majeurs: manque de financement, délais bureaucratiques, rareté des terrains, conditions restrictives dans les programmes et incertitudes sur le soutien communautaire à long terme.
Parallèlement, les pratiques abusives dans le marché locatif se multiplient: rénovictions, reprise de logement, discrimination systémique.
Dans ce contexte, l’administration municipale a un rôle crucial à jouer: faciliter l’accès aux terrains, prioriser les projets de logement social, appuyer les organismes communautaires et exercer un leadership politique fort pour exiger des gouvernements provinciaux et fédéraux des moyens à la hauteur des besoins.
– Mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires pour atteindre et dépasser la cible de 20 % de nouveaux logements sociaux, en favorisant la construction neuve, la requalification de bâtiments et l’acquisition/prise en main communautaire d’immeubles locatifs existants;
– Protéger activement le parc de maisons de chambres encore existantes à Montréal et soutenir la création de nouveaux modèles d’habitat communautaire à petite échelle;
– Soutenir financièrement et logistiquement l’implantation de projets de logement ancrés localement, dans tous les arrondissements, afin de permettre aux personnes de demeurer dans leur milieu de vie.
En 2025, face à l’explosion de l’itinérance et à l’aggravation de la crise du logement, il est urgent que la Ville assume pleinement son rôle de leader pour garantir le droit au logement et assurer des réponses structurelles à la hauteur des besoins.
Les enjeux de cohabitation urbaine, de partage de l’espace public et du droit à la ville sont au cœur des tensions sociales à Montréal. Alors que l’itinérance se généralise et s’étend à l’ensemble du territoire, les réponses institutionnelles tendent encore trop souvent vers la répression plutôt que vers la solidarité. Les initiatives répressives se sont multipliées: maintien de règlements municipaux induisant au profilage social et racial, démantèlement de campements sans alternatives, surveillance policière accrue, judiciarisation.
Le rapport de l’OCPM en matière d’itinérance et de cohabitation sociale confirme ce que les organismes communautaires dénoncent depuis des années: la judiciarisation des personnes en situation d’itinérance est une réponse inefficace, coûteuse et contraire aux droits fondamentaux. Ces pratiques déplacent les personnes, brisent les liens de confiance avec les intervenant·es, compromettent leur sécurité et renforcent leur isolement.
La stigmatisation demeure également bien ancrée: malgré une reconnaissance publique des manques en matière de logement, de services et d’hébergement, plusieurs élu·es et citoyen·nes changent de posture dès que des ressources communautaires s’implantent dans leur quartier. La pression pour déplacer ou invisibiliser les personnes marginalisées revient alors en force, au détriment de leur dignité et de leurs droits.
Face à ce contexte, il est impératif que l’administration municipale assume un leadership clair et cohérent en faveur du droit de cité pour toutes les personnes – qu’elles soient logées ou non. Montréal ne peut se permettre de gérer l’itinérance par l’éviction, la dispersion ou la répression. Il est urgent d’adopter une approche fondée sur la justice sociale, la participation des personnes concernées et la reconnaissance de leurs droits à l’espace public
– Adopter une politique municipale de cohabitation sociale en affirmant explicitement le droit des personnes en situation d’itinérance d’occuper l’espace public, au même titre que toute autre personne;
– Mettre fin à la judiciarisation des personnes itinérantes en mettant fin aux interpellations policières comme le demandent plus de 100 organisations;
– Réaffecter aux groupes communautaires les sommes utilisées par le SPVM pour effectuer des pratiques de répression des personnes en situation d’itinérance; soit les interpellations, les démantèlements de campement et la remise de constat d’infraction à des personnes en situation d’itinérance, aux groupes communautaires;
– Inclure les personnes concernées dans les décisions qui les touchent, par des mécanismes structurés de participation, et en leur garantissant une voix dans la définition des politiques publiques qui encadrent la vie dans les quartiers.
En 2025, la Ville doit réaffirmer que le droit à la ville ne dépend pas d’un statut résidentiel. Il s’agit d’une question de justice, de dignité et de cohésion sociale.
La santé des personnes en situation d’itinérance est particulièrement menacée par les changements climatiques et la multiplication des épisodes météorologiques extrêmes, dont la fréquence et l’intensité s’accentuent à Montréal. Les vagues de chaleur, la détérioration de la qualité de l’air, les pluies diluviennes, les tempêtes hivernales et les épisodes de gel et dégel exposent gravement les personnes vivant dans l’espace public ou dans des conditions de grande précarité. Malgré ces risques connus, la Ville de Montréal ne s’est pas dotée de protocoles d’urgence adaptés ni de mesures spécifiques intégrées à ses plans d’adaptation climatique. La réalité de l’itinérance demeure largement absente des stratégies municipales, et l’absence de coordination claire entre les services municipaux et les organismes communautaires lors des catastrophes naturelles ou climatiques laisse les personnes concernées sans protection adéquate. Cette invisibilisation systémique met en péril la santé, la sécurité et la dignité des personnes déjà les plus vulnérabilisées.
Par ailleurs, les organismes communautaires sont aux premières loges des épisodes météorologiques extrêmes. Ils sont les premiers répondants des populations en situation d’itinérance. Malheureusement, ce travail demeure invisible et non-financé, alors que la menace des changements climatiques s’amplifie d’année en année.
– Intégrer des mesures spécifiques répondant aux besoins des personnes en situation d’itinérance et des organismes communautaires dans la mise en œuvre des plans municipaux d’adaptation climatique;
– Mettre en place un protocole d’urgence climatique clair, concerté avec les organismes, les personnes concernées, la santé publique et le réseau de la santé qui s’enclenche lors des épisodes extrêmes tout au long de l’année;
– Multiplier et diversifier les lieux de répit 24/7 accessibles à l’année, climatisés l’été et chauffés l’hiver, répondant aux besoins et différentes réalités;
– Allouer un financement aux organismes pour faciliter une réponse aux besoins en croissance et favoriser l’émergence de mesures d’adaptation (élargissement des heures d’ouverture, distribution de matériels et kits d’hiver, de gourde et crème solaire…);
– Renforcer les services de première ligne, incluant des cliniques mobiles et des équipes d’intervention rapide capables d’apporter des soins aux personnes exposées aux intempéries (au froid, à la chaleur, au vent, au smog…);
– Développer un système d’alerte et d’information adapté (multilingue, accessible, concerté avec les organismes et personnes concernées) pour prévenir les personnes et coordonner les interventions en cas d’épisodes météorologiques extrêmes ou de détérioration de la qualité de l’air.
En 2025, la Ville de Montréal doit reconnaître que le droit à la santé passe par des mesures climatiques justes, inclusives et structurantes, pour protéger en priorité celles et ceux qui sont les plus exposés.
Les organismes communautaires montréalais, en particulier ceux œuvrant en itinérance, en santé, en réduction des méfaits et en logement, font face à une précarisation sans précédent. L’écart entre les besoins sur le terrain et les ressources disponibles s’est dramatiquement creusé ces dernières années, au moment même où la crise de l’itinérance s’est aggravée dans tous les quartiers de Montréal.
Plusieurs organismes peinent à maintenir leurs services de base, alors même que la demande explose. Le sous-financement chronique limite leur capacité à innover, à développer des pratiques adaptées, à offrir des salaires et des conditions de travail compétitives à leurs équipes et à assurer une présence stable et humaine auprès des personnes les plus marginalisées.
Face à ces réalités, il est urgent que l’administration municipale reconnaisse le rôle essentiel et irremplaçable du communautaire dans la réponse aux besoins liés à l’itinérance, et qu’elle soutienne ses actions à long terme, dans un cadre de financement stable, prévisible et équitable.
– À bonifier le financement municipal dédié aux organismes en itinérance, pour atteindre au minimum 21 millions de dollars par année, afin de permettre le maintien, le développement et la pérennisation de réponses essentiels dans tous les arrondissements;
– Instaurer un dialogue structuré et permanent entre la Ville et les organismes communautaires, afin d’élaborer une vision partagée des réponses à l’itinérance à Montréal, et de construire des politiques cohérentes avec les réalités du terrain.
À Montréal, les inégalités structurelles qui traversent la société se retrouvent amplifiées dans les trajectoires d’itinérance. Les personnes issues des Premières Nations, les Inuits, les personnes migrantes à statut précaire, les femmes, les jeunes LGBTQIA+ et les personnes racisées sont disproportionnellement touchées par l’itinérance et rencontrent de multiples barrières d’accès aux ressources. Ces populations sont confrontées à des violences systémiques, à de la discrimination dans l’accès au logement, aux soins et aux services, ainsi qu’au profilage racial, social, sexiste et/ou transphobe.
Le manque de ressources spécifiques, développées par et pour les personnes concernées, est flagrant. Les organismes autochtones, les groupes LGBTQ+ doivent souvent composer avec un sous-financement chronique, des programmes mal adaptés ou des appels à projets qui ne reconnaissent pas leur autonomie ni leurs pratiques communautaires ancrées dans leurs réalités et besoins.
Les personnes migrantes à statut précaire sont systématiquement exclues des programmes de soutien et d’aide. Les récents durcissements des lois québécoises et des politiques migratoires canadiennes ne font qu’aggraver cette marginalisation, en restreignant encore davantage leur accès aux services publics essentiels. Le traitement médiatique et le discours politique dominant contribuent activement à leur stigmatisation, en les érigeant en boucs émissaires des crises sociales au Québec et les exposant ainsi à la xénophobie.
Malgré la reconnaissance du racisme systémique par l’administration municipale en 2020, peu de changements structurels concrets ont été observés dans les politiques en itinérance. Il est impératif que la Ville adopte une posture proactive, inclusive et antiraciste dans toutes ses interventions, en collaboration directe avec les groupes marginalisés.
– Reprendre et bonifier les travaux de révision des règlements municipaux qui engendrent du profilage social et racial, notamment ceux utilisés pour encadrer ou restreindre l’occupation de l’espace public;
– Intégrer de façon transversale une approche antiraciste et intersectionnelle dans toutes les actions municipales en itinérance, incluant la planification, le financement, la gouvernance et l’évaluation ;
– Soutenir adéquatement les organismes dirigés par les personnes concernées, notamment les organismes autochtones, LGBTQIA+, ou pour personnes migrantes, en leur assurant un financement pérenne et respectueux de leurs savoirs, ancrages culturels et méthodologies.
En 2025, lutter contre l’itinérance exige de s’attaquer aussi aux injustices qui la produisent. Cela passe par des politiques audacieuses, structurantes, et ancrées dans la dignité, l’équité et la justice sociale.