J’ai atterri au RAPSIM comme organisatrice communautaire un peu par hasard, dans un concours de circonstances. Si mon parcours universitaire, militant et de travailleuse est empreint d’intérêt envers des enjeux et sujets qui sont intimement liés à l’itinérance: gentrification, design de la ville, droits des travailleuses du sexe, féminisme intersectionnel, lutte aux oppressions, ce n’est pas un phénomène et un secteur auquel j’avais accordé beaucoup de temps et de réflexion. Autant dire que je n’y connaissais rien.

À première vue, l’itinérance semble simple: des personnes sont dans la rue parce qu’elles n’ont pas accès à un logement qu’elles peuvent se payer. 


Ce genre de phrases ou d’idées préconçues sont virulentes dans l’esprit collectif et c’est trop souvent dans ces termes que l’on parle d’itinérance : comme des échecs personnels ou comme des individus qui ne veulent pas. Mais ce n’est pas si simple que ça. Au cœur du phénomène de l’itinérance se trouve une succession de droits bafoués qui sont à considérer. 

Dans «Que fais-tu de ce qu’on a fait de toi?»: projets psychiques au cœur de la désaffiliation, Dr. Mylène Demarbre, psychologue et directrice clinique au Programme santé mentale à Médecins du Monde, écrit: «De ce qui lui est donné, l’être humain est bien obligé d’en faire quelque chose.» Ce court extrait d’une thèse au titre évocateur nous ramène à ces tensions entre les facteurs systémiques et individuels qui constituent les multiples parcours de l’itinérance. Ce phénomène est complexe et chaque jour, dans mon travail, je découvre plus de cette complexité.

Bref, en arrivant au RAPSIM, je pensais savoir, mais le milieu de l’itinérance m’était inconnu. Comme un peu tout le monde, je connaissais quelques organismes qui œuvrent en réduction des méfaits dans mon quartier et les gros refuges de Montréal. Mais je n’avais aucune idée de l’ampleur du réseau communautaire présent pour soutenir et accompagner les personnes. En 2025, le RAPSIM regroupe plus de 100 organismes communautaires montréalais! Je n’avais aucune idée de l’ampleur du champ d’action de ces organismes : hébergement, logement avec soutien communautaire en logement social, accompagnement en logement, travail de rue, centre de jour, centre de consommation supervisée, travail de proximité, médiation sociale, insertion sociale, les programmes TAPAJ, les ressources en dépendance, etc.  Surtout, je n’avais aucune idée de l’ampleur des freins successifs que rencontrent jour après jour, soir après soir, les personnes en situation d’itinérance et les groupes qui travaillent auprès d’elles. 

Un des rôles du RAPSIM est d’avoir une vision globale des freins rencontrés par les personnes et les organismes en itinérance à Montréal et de travailler à les amenuiser. Ces freins qui d’une part empêchent ou compliquent une sortie de l’itinérance et de l’autre contribuent à propulser les personnes vers l’itinérance. Exposer et expliquer ces freins ici serait un exercice accablant pour vous et pour moi, d’autres articles de cette publication en donneront des exemples. Tout de même, pour vous donner un rapide aperçu ; on rencontre ces freins dans les programmes d’aide sociale, de construction de logements sociaux et d’aide au logement, dans des règlements municipaux induisant du profilage social et racial, dans les parcours institutionnels, dans la stigmatisation des personnes en marge qui consomment des substances psychoactives ainsi qu’au sein de nos institutions qui se limitent trop souvent à leur rôle strict tout en oubliant qu’elles existent pour des humains. 

Une grande frustration pour l’équipe du RAPSIM est que ces freins et limites sont structurels, sont ancrés dans nos systèmes et relèvent de choix politiques sur lesquels, en tant que regroupement, on a assez peu de pouvoir, mais surtout trop peu d’écoute. Une grande frustration est d’être témoins indirects de toute la détresse et la violence vécues par les personnes en situation d’itinérance et par les travailleurs·euses du communautaire qui se retrouvent impuissant·es devant tous ces obstacles successifs. Une grande frustration que l’on rencontre est d’être confronté quotidiennement au manque d’humanité de notre système, de nos institutions, de notre société. Alors que l’humain devrait être au cœur des préoccupations, force est de constater que c’est l’économie qui est au premier plan. Lors des 4e États généraux de l’itinérance ayant eu lieu en novembre 2024, Kristopher, un homme Anicenape-Innu avec un vécu en itinérance a dit: 

«Quand on me voit dans la rue ce qu’on voit, ce n’est pas un humain, c’est de l’argent [perdu]. Quand on veut m’aider, ce n’est pas moi qu’on voit, c’est l’argent que je vais pouvoir contribuer à la société. Quand on veut m’aider, ce qu’on me propose c’est de l’argent. Mais moi je m’en fous de l’argent.» 
– L’argent avant l’humain… 

Une grande motivation pour l’équipe du RAPSIM, c’est de s’efforcer de toujours mettre l’humain, la dignité et la justice sociale au premier plan de nos préoccupations. On s’ancre dans une approche globale pour comprendre, prévenir et réduire l’itinérance: 

«Concrètement, pour le RAPSIM, promouvoir l’approche globale implique plusieurs éléments. Premièrement, une prise en compte des facteurs sociaux qui affectent les conditions de vie, en particulier les inégalités sociales, de même que l’expérience subjective des personnes est nécessaire. Deuxièmement, une attention particulière doit être portée tant à l’expression affective de la personne que de la perception qu’elle a de sa condition d’existence. Troisièmement, une conception généraliste et holistique de l’intervention, invitant au développement de diverses formes de polyvalence et d’adaptabilité afin d’éviter la fragmentation qui s’impose. Quatrièmement, une participation qui soit libre, volontaire, et active des personnes plaçant au centre de l’intervention leur rythme et leurs volontés.»

Une de nos grandes fiertés est d’être témoin de la solidarité de nos membres unis par leur vision partagée d’une lutte à l’itinérance qui doit être globale. Parfois, c’est surprenant de voir à quel point leur action est différente. Certains ont des actions qui, à première vue, apparaissent à l’opposé l’une de l’autre, mais qui en réalité sont complémentaires. Au cœur de l’action des membres du RAPSIM se trouve le désir de travailler pour leur communauté, en reconnaissant ne pas répondre aux besoins de toutes les personnes et que les autres organismes, avec leurs approches différentes, sont nécessaires. 

Notre fierté et notre motivation sont que nous sommes portés par des membres qui mettent toujours l’humain d’abord. Pas le logement d’abord, pas le travail d’abord, pas l’économie d’abord. L’humain, là où il est, comme il est, avec ses besoins et ses désirs. Le logement, le travail, les sites de consommation supervisée, les actions de traitement des dépendances, les centres de jour, l’hébergement d’urgence, etc., sont des outils, pas une finalité. La finalité c’est l’humain. L’humain d’abord.