Issus d’un processus de photovoix, ces portraits sont le résultat d’entrevues qui ont eu lieu au courant de l’année 2024. Nous les avons rencontrés afin d’explorer l’expérience et l’expertise de ces humains, pour éviter que ces histoires, ces savoirs se perdent à travers les années, mais surtout pour témoigner du travail incroyable qu’ils et elles accomplissent chaque jour!
On ne s’invente pas travailleur·euse de rue, on le devient (Geneviève Houle)
Si le travail de rue est aujourd’hui plus connu, il reste un travail qui s’effectue plutôt dans l’ombre. Geneviève Houle, travailleuse de rue depuis 18 ans chez CACTUS, demeure engagée et convaincue de l’importance de son travail. Alors qu’au début de sa pratique elle pouvait aider plus facilement des personnes à sortir de la rue, les possibilités sont devenues de moins en moins accessibles à mesure que les crises se multiplient. Les défis du travail de rue ne s’arrêtent pas là, autrefois, il y avait des travailleurs·euses dans les rues presque 24h/24, mais la perte de financements a réduit ces horaires. L’accès à un téléphone a aussi modifié le rythme de travail et le sentiment d’urgence omniprésent pour les gens qu’elle accompagne.
« Le travail de rue, c’est de créer du lien, d’être présent auprès des gens, dans leur milieu de vie, dans leur quotidien, et dans une relation qui est volontaire. On ne s’impose pas, on attend d’être les bienvenus. »
« Le travail de rue s’est professionnalisé, mais on dirait que c’est plus dans une optique de contrôle des populations ou pour répondre aux besoins des institutions, au détriment des personnes qu’on dessert vraiment. »

Pour Geneviève, malgré la professionnalisation et l’instrumentalisation de son emploi par les institutions, le sens profond de son travail reste la création de liens avec les personnes dans leur milieu de vie, en respectant leur rythme et leurs besoins. Avec tous ces moments passés à marcher, accompagnée de son fidèle sac à dos pesant autour de 60 livres, elle rappelle qu’on ne s’invente pas travailleur ou travailleuse de rue, on le devient.
Sensibilité, authenticité et considération (Martin Talbot)
Martin Talbot est un ancien résident du Tournant. Aujourd’hui, c’est son lieu de travail. En 11 ans, cet intervenant a vu la réalité des jeunes hommes passant par cette Auberge du cœur évoluer et changer. Plus d’enjeux de santé mentale et plus de jeunes avec des parcours migratoires précaires. Beaucoup de jeunes migrants arrivent au Québec avec l’espoir d’un avenir meilleur, mais leur réalité est bien souvent marquée par des obstacles importants : certains sont sans papiers ou avec des permis expirés, ce qui limite leur accès à des ressources essentielles comme l’emploi ou les soins de santé. Les défis sont immenses et une ressource comme le Tournant finit souvent par combler les lacunes d’un système public qui est incapable de répondre aux besoins de ces jeunes.

« Je me considère chanceux de faire ce que je fais. J’aide les jeunes, mais en retour, ils m’apportent aussi beaucoup. »
« Si moi, j’ai réussi, pourquoi pas toi ? »
Le vécu personnel de Martin joue un rôle central dans son approche et sa motivation en tant qu’intervenant. Il ne se cache pas d’avoir vécu lui-même des situations d’itinérance et de consommation. Ce sont ces expériences qui l’ont motivé à devenir intervenant. Il se compte d’ailleurs chanceux de pouvoir redonner au prochain et de pouvoir inspirer l’espoir pour des jeunes qui ont parfois l’impression d’être coincés dans leurs difficultés. Pour lui, on doit avoir un rapport égalitaire avec les résidents, être soi-même et ne pas jouer un rôle. Martin répète souvent qu’il est important de rester proche de ses émotions, malgré la difficulté et l’intensité de ce travail. Il a choisi de ne pas se couper de sa sensibilité. C’est cette authenticité qui lui permet d’être toujours intervenant malgré les années et les crises sociales.
Le logement social, des tremplins pour les personnes marginalisées (Marjolaine Despars)
Marjolaine Despars a un parcours marqué par une longue implication dans le milieu de l’itinérance et du logement social, débutant avec le RAPSIM en 2006. Marjolaine n’est pas seulement une professionnelle du milieu, elle est profondément investie dans les causes qu’elle défend. Fière défenseure du logement social, elle considère qu’ils ne sont pas qu’un simple lieu de vie, ils contribuent à briser l’isolement, à maintenir les personnes en logement et à leur offrir des opportunités pour reconstruire leur vie.
« Ce n’est pas nous qui avons créé l’itinérance à Hochelaga-Maisonneuve. Elle était là. On ne fait que répondre aux besoins. »
« Les premières personnes qui savent ce dont elles ont besoin, ce sont celles qui vivent l’itinérance. Si on veut des solutions qui fonctionnent, il faut les écouter et leur donner une place à la table. »
Parmi ses projets marquants, elle a participé à la Commission populaire sur les maisons de chambre en 2009-2010 pour sauvegarder ces maisons, mettant en lumière leur importance malgré des conditions souvent difficiles (insalubrité, manque de sécurité, vente des immeubles, etc.). Marjolaine a aussi contribué à l’élaboration et à la création de la Politique nationale de lutte à l’itinérance, axée sur les droits fondamentaux (logement, santé, revenu, etc.). Sa participation a été autant sur le terrain de la sensibilisation (organisation de manifestations et d’ateliers d’éducation populaire) que sur le terrain du plaidoyer (participation à la commission parlementaire sur l’itinérance).