En 2003, lorsque la Table de concertation jeunesse itinérance du centre-ville et le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) ont créé l’Opération Droits Devant, le terme profilage social était marginal même si le phénomène était bien réel. 

Le milieu communautaire était témoin d’une hausse fulgurante des prix du logement, mais aussi d’une criminalisation et une pénalisation grandissante de la pauvreté. Si l’emprisonnement pour non-paiement d’amende était toujours d’actualité, la gentrification des quartiers centraux devenait aussi une réalité. Les personnes en situation d’itinérance ont payé très cher la revitalisation du centre-ville. En effet, au début des années 2000, Montréal a connu différents changements législatifs qui ont eu de lourds impacts sur les personnes en situation d’itinérance. À titre d’exemple, plusieurs places et squares ont été transformés en parcs, ce qui permettait aux policiers de chasser les citoyen·es non logé·es qui s’y réfugiaient la nuit. C’était l’époque des squeegees et de la tonne de contraventions qui leur étaient remises, mais les jeunes punks n’étaient pas les seul.es à subir cette judiciarisation : le phénomène était généralisé auprès des populations marginalisées. 

On voyait bien qu’en plus des discriminations dont étaient victimes les personnes, la dette judiciaire qu’elles accumulaient, qui dans certains cas pouvait atteindre des dizaines de milliers de dollars, était un frein à leur réinsertion. Combien de fois a-t-on entendu : 

«Ça sert à quoi que je me trouve une job et un appart? D’la minute que je vais avoir une adresse et une paye, ils vont me saisir tout ce que j’ai et ce sera un retour à la case départ — dans la rue».

L’Opération Droits Devant (L’ODD) est née dans ce contexte — en réponse au sentiment d’injustice et d’impuissance que ressentaient les intervenant·es du milieu de l’itinérance. L’ODD regroupait alors une quarantaine d’intervenant·es d’organismes communautaires. L’objectif était de brosser un portrait de la judiciarisation, mais aussi de faire de la sensibilisation et des représentations afin de faire
bouger les choses et d’enrayer le profilage social. 

Parallèlement à ces activités politiques, les organismes ont demandé que soit développé un service d’accompagnement social en milieu judiciaire pour les personnes en situation d’itinérance. En 2006, le RAPSIM a créé le projet de la Clinique Droits Devant. 

En 2009, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec (CDPDJQ) publie un rapport accablant sur le profilage social. En plus de reconnaître les pratiques discriminatoires du SPVM, la CDPDJQ recommande l’élaboration de mesures sociales afin de freiner la contraventionnalisation de la pauvreté. 

C’est grâce au travail concerté de l’ODD, au rapport de la CDPDJQ et aux connaissances que nous avons acquis sur le terrain que nous avons développé au fil des années des programmes sociaux avec la Cour municipale de Montréal comme le Programme d’Accompagnement pour les Personnes en Situation d’Itinérance (PAPSI) et le Programme d’Accompagnement Justice Itinérance à la Cour (PAJIC).

Le Programme d’Accompagnement Justice Itinérance à la Cour (PAJIC) vise à aider les personnes ayant connu une période d’itinérance à régulariser leurs dossiers judiciaires (constats d’infraction en lien avec l’itinérance et/ou causes criminelles sommaires) à la cour municipale de Montréal. Le plus souvent, la régularisation se fait par le retrait massif de constats d’infraction et par des sentences plus adaptées aux personnes pour les causes criminelles. Le volontariat de la personne est au cœur de ce programme. À Montréal, en plus du PAJIC régulier, une salle de cour est réservée les jeudis matin à la cour municipale pour le PAJIC Portes Ouvertes. Actuellement, nous sommes les seuls au Québec à avoir développé cette approche. 

Très vite, la Clinique a connu un vif succès, desservant en moyenne entre 150 et 200 nouvelles personnes par année. Cette popularité a fait en sorte que le RAPSIM a décidé d’accompagner la Clinique dans une démarche d’autonomisation après 7 ans d’existence pour qu’elle puisse continuer à se développer. La Clinique a reçu ses lettres patentes le 4 mars 2014 et a tenu son assemblée de fondation le 14 mai 2014.

Si les programmes sociaux de la Cour sont une partie importante de notre travail en raison de sa popularité auprès des personnes directement concernées, notre champ d’intervention est beaucoup plus vaste. En tout temps, la défense des droits de la personne qui fréquente la Clinique doit primer sur le règlement de sa situation judiciaire. 

Tantôt perçue de manière négative, l’indignation à la Clinique Droits Devant se place davantage comme un catalyseur des injustices vécues. En effet, elle place la personne au centre de son histoire et lui permet de s’approprier ses droits par l’expression du recours aux plaintes en déontologie policière ou à la Commission des droits de la personne, tout comme dans la régularisation judiciaire de sa situation.

L’intervention à la Clinique Droits Devant peut prendre diverses formes, mais le respect des choix, des besoins et du rythme de la personne est toujours au centre de notre approche. Que ce soit dans le cadre du sans rendez-vous, dans la réalisation d’accompagnements aux tribunaux sociaux et réguliers ou dans la défense de leurs droits, notre rôle est d’assurer une présence juste auprès de la personne. De lui offrir l’espace nécessaire afin qu’elle puisse reprendre contact avec la dignité et l’intégrité qui lui reviennent.  

L’intervention à la Clinique prend également racine dans le transfert de connaissances. Il est pour nous primordial que la personne connaisse ses droits et qu’elle soit en mesure de faire son choix en ayant le maximum d’informations en main. La possibilité de choix est un levier majeur pour des personnes qui en sont généralement privées. Le pouvoir décisionnel qui est remis à la personne est une amorce vers une reconnaissance du droit d’être et d’exister dans les espaces publics.

Aujourd’hui, alors que le contexte social se complexifie par la crise du logement, la crise des opioïdes, les campements, la présence de plus en plus accrue de l’industrie de la sécurité privée dans la gestion de l’espace public, l’intervention à la CDD se dynamise et s’ajuste aux nouvelles réalités en se faisant le porte-voix des personnes premières concernées afin de sensibiliser les institutions juridiques au profilage social. 

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