général,  Lettre ouverte

Chers chroniqueurs et journalistes

Le RAPSIM a envoyé cette lettre aux médias, au Conseil de Presse et à la Fédération des journalistes du Québec.

À noter qu’en date du 25 septembre 2024, notre lettre n’a obtenu aucune réponse.

Bonjour,
Le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) est le
regroupement d’organismes communautaires montréalais en itinérance. Il regroupe plus de 100
membres et défend les droits des personnes en situation d’itinérance ou à risque de l’être
depuis 1974. Nous vous interpellons aujourd’hui pour vous faire part de nos inquiétudes en lien
avec le traitement médiatique des enjeux entourant l’itinérance et vous sensibiliser aux
répercussions que nous constatons sur le terrain.


Avec les crises d’itinérance et de toxicité de substances inégalées que l’on traverse, la question
de l’itinérance est largement traitée dans les médias : cela est inévitable et souhaitable.
Toutefois, nous nous inquiétons de certaines méthodes journalistiques utilisées qui mettent à
mal la dignité, la vie privée et la sécurité des personnes en situation d’itinérance, des équipes
d’intervention et encore plus largement de tout le personnel des organismes communautaires
en itinérance.


Les personnes en situation d’itinérance, encore plus particulièrement celles qui traversent des
crises ou qui vivent en campement, n’ont pas ou peu d’endroits privés pour se réfugier et se
reposer. Pour ces raisons, plusieurs personnes sont très visibles dans l’espace public.
Dernièrement, nous avons pu voir dans les médias maintes images de différentes situations
délicates, intimes ou du quotidien des personnes en situation d’itinérance. Certes, ces
représentations sont celles de faits réels, souvent improbables et même parfois complètement
inacceptables. Toutefois, la diffusion (particulièrement répétée) de ces images est éthiquement
questionnable étant donné ses impacts sur les personnes en situation d’itinérance elles-mêmes
ainsi que sur le climat social déjà tendu.


Dans le contexte actuel, et parce que les personnes en situation d’itinérance sont des humains
qui sont confrontés à des situations difficiles et à une grande détresse, nous faisons appel à une
plus grande sensibilité et à une plus grande pudeur dans la couverture médiatique de l’enjeu,
particulièrement dans la prise et la diffusion de vidéos ou d’images et dans l’endroit choisi pour
filmer les reportages. Ces personnes ont le droit de préserver leur anonymat et leur dignité.
Elles ont aussi droit de consentir – ou non – à ce que leur visage et leurs effets personnels
apparaissent dans l’espace médiatique. Nous aimerions également vous sensibiliser au fait que
la diffusion de ces images peut mettre en danger les personnes en situation d’itinérance, mais
également les travailleurs.euses des organismes et même le voisinage. Un exemple réel de
cela est celui de la violence conjugale, où un conjoint violent a retrouvé une femme qui
fréquentait une ressource en itinérance à cause des images diffusées par les médias. Nous
sommes conscients que d’un point de vue strictement légal, il est possible pour des journalistes
de prendre des images/ plans larges à partir de l’espace public sans le consentement ou même
la permission des personnes. Toutefois, selon le Guide de déontologie du Conseil de presse du Québec, les journalistes et les médias ont la responsabilité de faire preuve de discernement dans l’information qu’ils collectent et dans la façon dont ils la traitent et la diffusent. Ils ont la responsabilité de faire la part des choses entre sensationnalisme, curiosité du public et intérêt public.


Nous tenons également à souligner que la présence répétée des journalistes autour des
ressources en itinérance a également des impacts sur les personnes qui y travaillent. Dans les
derniers mois – et cela se poursuit – il est arrivé fréquemment que des prises de vues et de sons
soient recueillies et diffusées sans le consentement des travailleur.euse.s. Cela crée un stress
et un inconfort qui s’ajoute à un emploi déjà difficile. De plus, le climat social tendu mène aussi
à des dérapages : des intervenant.es ont été ciblé.es sur leurs réseaux sociaux personnels,
harcelés verbalement et même physiquement par des citoyen.nes fâché.es suite à des
apparitions, consenties ou non, dans les médias. Cela est sans compter la surcharge de travail
liée à la présence médiatique, notamment des crises déclenchées par l’insistance et le manque
de respect de certains journalistes. Il nous semble primordial que les journalistes, les
chroniqueurs et les diffuseurs tiennent compte de ce contexte et soient conscients des impacts
du traitement médiatique de l’itinérance.


Rappelons aussi que les organismes communautaires en itinérance visés par les médias ne
commettent pas de faute professionnelle, de négligence ou de maltraitance. Or, nous
constatons plusieurs incidents où des journalistes agissent comme si c’était le cas.


Voici quelques techniques utilisées que nous déplorons :
➔ La prise d’images et de son de l’intérieur des ressources en itinérance, où les personnes
vont afin de répondre à leurs besoins de bases, dont celui de sécurité.
➔ La présence répétée des journalistes autour des ressources en itinérance et site de
consommation supervisées en attente d’événements (crises de désorganisation,
bagarres, etc.).
➔ L’utilisation de vidéos citoyennes incomplètes (sorties de leur contexte) ou non vérifiées,
faire des entrevues avec des citoyen.nes et ne pas vérifier les faits mentionnés
➔ présence insistante lors des démantèlements dans le but d’avoir des images choc, alors
qu’il s’agit d’une vraie tragédie pour les personnes qui les vivent.


Nous comprenons bien la responsabilité et le rôle des médias : vous avez une place cruciale
afin de rendre accessible une information vérifiée et de soulever des questionnements sociaux.
Nous comprenons également que la situation doit être couverte et que des points de vue
opposés à ceux du RAPSIM peuvent et doivent être exposés. Toutefois, nous croyons qu’il est
essentiel de mettre en perspective les situations que vivent les personnes en situation
d’itinérance et d’humaniser davantage ces personnes.


Comme cela a été bien documenté dans le passé avec différentes populations, nous constatons
présentement une surreprésentation des enjeux liés à l’itinérance et l’utilisation d’anecdotes
pour généraliser des situations. Cela a des répercussions réelles et néfastes sur le climat social
et sur la dignité et la sécurité des personnes en situation d’itinérance et des travailleur.euse.s.
Aujourd’hui, nous faisons donc appel à plus de sensibilité, à plus de pudeur et à un plus grand
respect de l’intégrité et de l’anonymat des divers acteurs en itinérance. Nous vous demandons
de porter une attention particulière afin de traiter l’enjeu sans polariser davantage et surtout en
tenant compte qu’au coeur de l’itinérance se trouvent des personnes : il s’agit d’humains en
situation de précarité, de marginalité et qui vivent de la détresse, leur situation d’itinérance ne
fait pas d’eux des criminels.


Nous vous remercions de votre considération pour nos inquiétudes et d’assurer une recherche
constante d’un meilleur équilibre entre informer le public de la crise sociale et des enjeux qui y
sont liés et de préserver l’anonymat et la dignité des acteurs impliqués lorsque possible. Nous
croyons que cette lettre que nous vous adressons est une bonne occasion de se rappeler des
effets collatéraux des images véhiculées lors des reportages. Le RAPSIM reste disponible pour
vous rencontrer afin d’en discuter davantage.